Durant la phase d’apprentissage, il n’y a pas une seule partie du corps qui ne soit concernée par le geste, soit par sa participation au mouvement ou sa fixité, soit par sa détente consciente.
Le trac lors de l’exécution en public provient souvent du stress soudain d’une partie du corps qui, n’ayant pas été conscientisée, échappe alors au contrôle et développe des gestes parasites, tremblements ou tétanie qui peuvent se propager au corps entier. La TECHNIQUE RUSSE DE PIANO ne laisse aucune partie du corps hors de contrôle et hors de sensation.
C’est la sensation corporelle dominante, développée et conscientisée durant la phase de travail, qui prendra l’ascendant durant le concert.
Déjà évoquées dans le chapitre PRINCIPES, c’est la détente et la conscience du corps (fondements de la technique russe de piano quant au culte du son) qui constituent les ancrages physiologiques de sérénité susceptibles de s’opposer à l’envahissement du corps par le trac.
En résumé, c’est la mémoire corporelle qui prend les commandes lors de l’exécution en public, tant dans la vitesse, dans les phrasés que dans la qualité de présence, de respiration, de bien-être et de détente.
Si certes les techniques de programmation mentale et de visualisation peuvent compléter la préparation et le conditionnement au meilleur concert, sans le culte concret d’une mémoire corporelle basée sur la détente et la conscience durant l’apprentissage, elles ne développeront pas la plus grande efficacité.
La respiration est la chose la plus accessible et facile à maîtriser. Dans le stress, la respiration se raccourcit, voire se raréfie et se fait plus superficielle. Maîtriser sa respiration, c’est commencer de maîtriser le trac. Pour maîtriser sa respiration en situation de stress comme le concert, il convient de l’avoir domestiquée et intégrée complètement à la phase de travail, avec une respiration ample, profonde, calquée sur le geste ou sur la phrase musicale.
Encore une fois, tous ces réflexes conditionnés évitent d’avoir à réfléchir sur le trac ou sur sa maîtrise au moment-même des concerts, ce qui enlève de la spontanéité musicale et de la sensualité de jeu. Un long travail préalable avec la respiration, en phase avec le geste et le phrasé, permettra de laisser libre champ à la sensation de bien-être et aussi de mieux accompagner physiquement voire de « danser » la musique.
CONDITIONNER ET PROGRAMMER SON SUBCONSCIENT. La seule volonté du moment ne suffit à ordonner au trac de s’arrêter. Le trac est bien un processus inconscient et physiologique qui prend le dessus à l’insu de la volonté. Cependant, il existe des moyens, en sus du conditionnement physique induit par la TECHNIQUE RUSSE DE PIANO, de se conditionner au bien-être, au plaisir et à la détente lors des concerts.
Notre subconscient ne fait pas de différence entre la réalité et la suggestion. Aux moments de stress, il restitue, telle une secrétaire fidèle, les données les plus fréquentes qu’on lui aura imprimé. Aussi, un conditionnement régulier et positif du subconscient aura pour effet de faire ressortir ces données et cet état lors de moments où les conditions prédisposent à la perte de contrôle.
ASSOCIER SENSATIONS ET EMOTIONS DANS LA VISUALISATION.
La technique de conditionnement du subconscient consiste donc en la visualisation mentale associée à la sensation du geste, de l’état intérieur, à une agréable respiration lente, à l’écoute auditive intérieure de la phrase musicale, au plaisir éprouvé, et à la perception de l’environnement. Plus les sens seront sollicités, plus l’ancrage dans la sensation sera fort et sera en mesure de s’imposer en concert et de venir occulter toute immixtion de trac.
Elle peut être pratiquée en état de relaxation, comme face au piano en phase de travail.
Il faut néanmoins considérer le trac comme un processus naturel, comme un bon signe, signe qu’il se passe quelque chose de fort. On a enfin la chance de sortir et de s’affranchir de l’ordinaire et du banal.
Il convient donc de pas lutter contre le trac, mais de l’intégrer et de le transmuter en plaisir qui va accroître le bien-être. C’est une énergie qui peut être utilisé contre soi ou à son profit.
Même si le trac ne se manifeste pas en répétition, c’est le travail soutenu sur une sensation physiologique de bien-être et une émotion de joie qui créera la référence à « récupérer » en concert, ancrée par la respiration concrète et la conscience du corps. Il suffit alors en concert de se concentrer sur les sensations et leur richesse.
FAIRE PARTIE D’UN TOUT. Le travail personnel du pianiste est essentiellement solitaire. Le contact avec le public est occasionnel pour la plupart des pianistes. Ce changement soudain d’environnement, appesanti du regard d’autrui ou même de ce que l’on peut percevoir comme un jugement, est source de stress.
Prendre en compte et intégrer, lors de son travail solitaire, la présence de l’autre, des autres et d’un volume spatial accru permet de s’accaparer avec profit les données extérieures au lieu de les ressentir comme éléments perturbateurs. La perception à développer n’est pas celle d’un instrumentiste isolé plongé dans un environnement extérieur ou considéré comme hostile, mais celle de faire partie d’un tout.
MISE EN RELATION AVEC L’ENVIRONNEMENT.
La mise en relation avec l’environnement est empruntée aux techniques de théâtre (russe à l’origine). Elle consiste à sentir subtilement l’espace, le volume, mais aussi les données sensibles envoyées par le vivant (soit le public et l’égrégore qu’il constitue). Puis, à intégrer instantanément ces données subtiles en soi pour moduler éventuellement son message personnel et artistique dans l’instant (le concert se déroule dans un espace-temps limité où nulle reprise ni redite n’est permise) sans toutefois trahir son intention originelle.
Cela permet, non seulement d’éradiquer le trac, mais de développer une communion sensible accrue avec le public et de magnifier l’instant musical. Cette qualité de présence est généralement fortement ressentie par le public et la musique n’en possède que plus d’impact.
Cela se prépare aussi en amont des concerts. L’expérience du concert apporte son lot de données. On peut travailler a posteriori, par la relaxation et la visualisation, sur des concerts qui ne se sont pas déroulés au mieux du bien-être et de la détente pour déconditionner l’emprise et la mémoire du trac sur l’organisme, et transmuter l’expérience en opportunité pour le concert suivant. Une fois ces barrages dissous, on peut expérimenter le bonheur qu’est la simple générosité.
Le trac n’est donc pas une fatalité, mais une proposition de travail sur soi pour un meilleur partage de la musique et de la joie.
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